Biographie de Morihei Ueshiba 

 

Plus que tout art martial, l’Aïkido est l’image de la pensée de son fondateur. C’est pourquoi il est difficile de saisir son caractère unique sans comprendre qui était Morihei Ueshiba. Il avait le don de marier l’efficacité des techniques martiales à une profonde spiritualité. O Senseï insistait sur le fait que l’Aïkido est l’étude de l’esprit. Pour lui les techniques sont les véhicules utilisés pour exprimer les principes spirituels de l’Aïkido. Toute sa vie ne fut qu’une longue quête spirituelle, il se pencha sur les textes sacrés, médita et se plongea constamment dans la prière, forgea son corps sans relâche. L’Aïkido fut pour lui la voie de tous les aboutissements.

 

La jeunesse du fondateur

Morihei Ueshiba est né le 14 décembre 1883 à Tanabe, dans la préfecture de Wakayama. Tanabe est située aux pieds des monts Kumano. Ces montagnes sont la « terre sainte » des japonais, lieu sacré où les dieux shintos sont descendus sur terre. Ce détail, le grand nombre de sanctuaires et la foule constante des pèlerins auront un impact direct sur la psychologie de Morihei. En effet, la spiritualité et la religion vont accompagner ses pas tout au long de sa vie.

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(image : Temple et cascade des monts Kumano)

Il est le quatrième enfant et le fils aîné de Yoroku Ueshiba, un fermier aisé et respecté qui siégea 20 ans au conseil du village. Sa mère Yuki Itokawa venait d’une famille de propriétaires terriens d’ascendance noble. Vers l’âge de 7 ans, le petit Morihei est envoyé à Jizodera, un temple bouddhiste proche de la secte Shingon, pour y étudier les textes confucianistes et les écrits bouddhiques. Il se passionne rapidement pour ces récits merveilleux. Né prématurément, Morihei est un enfant de faible constitution, souvent malade. Du coup son père l’encourage à étudier parallèlement le sumo et la natation. Tanabe étant une petite ville de bord de mer, il peut sans difficulté s’adonner à la natation. Après une scolarité sans encombre, il termine ses études à l’institut Abacus de Yoshida. Peu de temps après il trouve un travail à l’office des impôts de Tanabe au service des revenus fonciers. Mais ce travail ne le passionne pas. En 1902 il rejoint un mouvement de protestation populaire contre la législation sur la pêche, puis il finit par démissionner de l’administration. Durant cette période Morihei s’entraîne à Sakai, au dojo de Masakatsu Nakai (un descendant de la famille Yagyû), ou il étudie l’école Goto du Yagyû-ryu jujutsu, une technique de combat ancienne et réputée. Le fondateur confia plus tard que nombre de mouvements de mains ou de déplacements de pieds utilisés en Aïkido sont les vestiges de ses études de cette école.

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(image : O Sensei dans les monts Kumano)

Pour subvenir à ses besoins, il décide de se lancer dans les affaires en partant pour Tokyo. Là-bas il ouvre son propre magasin : les Etablissements Ueshiba, une librairie et papeterie scolaire. Lors de son séjour à Tokyo il débute l’étude du « Tengin Shinyo-ryu » jujutsu, dirigé par Tokusaburo Tojawa Sensei, ainsi le Kenjutsu de l’école « Shinkage ». Malheureusement pour lui, une terrible crise de béribéri le terrasse la même année. Il est contraint de revenir à Tanabe pour recouvrer la santé. Peu après son retour il épouse Hatsu Itokawa qu’il connait depuis son enfance.

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(Ueshiba après son mariage avec Hatsu Itokawa)

 

L’engagement dans l’armée

OSensei-caporal-1903La puissance militaire du Japon est alors en pleine croissance, après la victoire sur la Corée et la Chine. La nation accepte sans broncher cette militarisation, grâce à une propagande et aux bons résultats sur les théâtres d’opérations. En 1903, Morihei comme des milliers de jeunes enthousiastes, réussit à s’engager dans un régiment d’infanterie, et ce malgré sa petite taille (1,55m). Il est incorporé dans l’armée au 37ème régiment de la quatrième division d’Osaka. Il se distingue par son habilité à la baïonnette (Juken jutsu), par sa rapidité à se déplacer et son entrainement acharné. Par contre, il est regardé d’un drôle d’air car il refuse systématiquement sa visite aux maisons de tolérance. (photo : le caporal Ueshiba, entre 1903 et 1906)

L’année suivante la guerre éclate avec la Russie, il est envoyé en Mandchourie avec le grade de caporal, et en reviendra avec le grade de sergent. A son retour il est stationné  à Hamdera. Il peut ainsi reprendre ses études auprès de Maître Nakaï pendant son temps libre et obtenir le diplôme de la Yagyu Ryu en Juillet 1908 pour son excellence au ken, au yari (lance) et le jô. Ce passage à l’armée lui laisse un goût amer et le plonge dans de grandes réflexions, sans pouvoir organiser sa pensée pour le moment. Il dira : « J’aimais être dans l’armée mais je ressentais intuitivement que la guerre n’était pas une solution au conflit. La guerre s’accompagne toujours de mort et de destruction et ne peut en aucun cas être une bonne chose ». Cette attitude est une exception à l’époque, surtout après la victoire du Japon contre une puissance occidentale.

 

Kumagusu Minakata, le lettré indépendant

Minakata-KumagusuKumagusu est un lettré connu pour avoir recopié une encyclopédie en cinq volumes pendant cinq ans, alors qu’il n’est qu’adolescent. Passionné d’insectes, de plantes, de nature et de jujutsu. Il part faire des études aux USA (en Floride), puis voyage aux Antilles, en Amérique latine et du sud, en Italie et à Londres. En rentrant au Japon il parle parfaitement l’anglais, le français, l’italien, le portugais, le grec, le latin, le chinois, l’arabe et le perse. Dans ses discours il parle de l’interrelation des peuples, de la responsabilité de l’homme vis-à-vis de la nature,de la lutte contre la pollution des rivières et de la pêche qui selon lui épuisera la mer dans le futur, il plaide pour de meilleures conditions sociales et professionelles pour les ouvriers dans le textile. Morihei séduit par l’intelligence hors norme de cet homme, devient son garde du corps dans les mouvements sociaux. Il apporte à Morihei de grandes idées, la soif de la connaissance des hommes de tous les bords et tous les pays. Il lui enseigne surtout le refus de l’injustice et l’amour de la nature.

 

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(Minakata à droite)

L’établissement à Hokkaido

village-hokkaidoLibéré de l’armée en 1907, il retourne à Tanabe pour travailler dans la ferme familiale. Durant les trois années qui suivent son retour,il se plonge dans toutes sortes d’activités. Il s’essaye même au judo pendant quelque temps lorsque son père fait venir pour la jeunesse locale un jeune instructeur 3e Dan du Kodokan (dojo central du judo à Tokyo) : Kiyochi Tokagi (qui deviendra plus tard 9ème Dan). Cependant, Morihei ne souhaite pas se fixer définitivement à Tanabe. En 1911, alors que sa fille aînée Matsuko vient de naître, il s’intéresse à une nouvelle aventure. A cette époque, le gouvernement japonais offre des aides pour encourager le peuplement de l’île sous-développée de Hokkaido.

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(Ueshiba en chef de village)

Séduit par cette nouvelle perspective, Morihei organise le déplacement de cinquante-quatre familles dans cette île en mars 1912. Finalement au mois de mai, le groupe s’installe dans une partie reculée du nord de l’île qui allait devenir le village de Shirataki. Cet endroit est encore sauvage lorsqu’ils arrivent et les pionniers doivent lutter contre des conditions atmosphériques difficiles. Le quotidien des colons à Shirataki est spartiate. Il est principalement consacré aux travaux agricoles et forestiers. Morihei se démène pour assurer le succès de la colonie. Il sert de guide à ses compatriotes de Tanabe, aide de nouvelles familles à s’établir et participe même un temps à la vie politique locale en tant que conseiller territorial. C’est à cette époque que lors des travaux de déforestation, il prend l’habitude d’arracher des souches à la force de ses bras.

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(Ueshiba dans les champs en Hokkaido)

Sokaku Takeda, le dernier guerrier

Takeda-Sokaku-portraitEn Février 1915 il fait la connaissance de Sokaku Takeda, le célèbre maître de Daïto-ryu, dans une auberge de Engaru où il est lui-même de passage. Bien que Morihei Ueshiba, alors âgé de 32 ans, soit déjà très compétent en arts martiaux, il n’a clairement pas le niveau de Sokaku Takeda, alors dans la force de l’âge. Séduit par la technique terriblement efficace de Sokaku, il s’entraîne intensément avec lui. Il consacre alors beaucoup de temps et d’argent à l’apprentissage du Daïto-ryu jujutsu et invite même Sokaku à vivre chez lui afin de pouvoir bénéficier de cours particuliers. Morihei devient rapidement l’un des meilleurs élèves de Sokaku et il l’accompagne parfois lorsqu’il voyage pour enseigner dans divers endroits de l’île. Durant son séjour à Hokkaïdo, Morihei reçoit un diplôme d’instruction du premier degré du Daïto-ryu. L’enseignement du Daïto-ryu qui lui est transmis comprend plusieurs centaines de techniques sophistiquées, composées entre autres de clés et d’immobilisations. Takeda a développé un talent particulier appelé “aïki”, grâce auquel il peut contrôler l’esprit d’un adversaire et neutraliser ainsi son agression. Il est également expert au maniement des armes telles que le sabre, le shuriken (arme de jet) ou l’éventail en acier (tessen). Les techniques de jujutsu de Maître Takeda vont devenir la base de presque tous les mouvements d’Aïkido, et leurs influences sur l’art martial que va créer Morihei est évidente.

 

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(Takeda Sokaku jeune, portrait officiel)

A cette époque, Sokaku vit encore comme au temps des samouraïs, et ne se sépare jamais d’une arme, conservant son tanto avec la lame nue jusque dans son bain. Issu du terrible clan Aizu, qui était le dernier à s’être rendu face aux troupes de l’empereur lors de la défense de la caste des samouraïs, il avait tué de nombreuses personnes. Par conséquent, nombreux étaient ses ennemis qui voulaient accomplir des vengeances. En cas de défi pendant son séjour en Hokkaido, il envoie Morihei à sa place pour combattre. Mais à la différence de son Maître, Ueshiba ne tue jamais ses adversaires. Sokaku ne savait ni lire ni écrire et seuls les arts de la guerre étaient importants à ses yeux.

1917 voit la naissance de son fils aîné Takamori. A la mi-novembre 1919, Morihei a la douleur d’apprendre que son père est gravement malade. Il doit rentrer à Tanabe. Il abandonne Hokkaido, mettant ainsi fin à une aventure de huit années. Il abandonne sa modeste demeure de Shirataki, ainsi que ses meubles, à Sokaku Takeda. Il part pour ne jamais revenir sur l’île d’Hokkaido.

 

La rencontre avec Onisaburo Deguchi

Onisaburo_Deguchi_et_OSenseiPendant son voyage, Morihei apprend que Onisaburo Deguchi, maître spirituel d’une secte en pleine expansion (Ômoto-kyô), et célèbre pour son chinkon kishin (ascèse mentale qui doit conduire à la sérénité et rapprocher du divin), se trouve près de Ayabe. Il se sent le besoin d’aller le voir pour lui demander de prier pour son père. Dès son arrivée à la gare d’Ayabe, Morihei sent dans l’air une énergie nouvelle pour lui. Partout des gens, avec les cheveux longs et d’amples jupes, s’affairaient à « réformer le monde et à créer le paradis sur terre ». Attiré par le Pavillon du Dragon, il s’assoit et prie pour son père. Une voix qui sort de l’ombre lui demande ce qu’il voit. Il répond « mon père, vieux et fatigué ». « Laissez-le partir » Et Onisaburo Deguchi apparaît.

 

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(Onisaburo Deguchi et Morihei Ueshiba à Tanabe, avec les membres de l’Omoto-kyo)

Séduit par le personnage, il reste à ses côtés jusqu’au 28 décembre. Les mots de Deguchi Senseï faisaient toujours sur lui une impression profonde. Yoruku Ueshiba décède le 2 janvier 1920 à l’âge de 76 ans. Sa mort est un coup très rude pour Morihei, d’autant que les derniers mots du père à son fils sont « Ne te laisse pas arrêter par quoi que ce soit. Vis comme tu le souhaites ». Il connait alors une période de confusion intérieure et d’instabilité émotionnelle, oscillant entre tristesse et hyperactivité, s’entraînant sans cesse au sabre dans la montagne. A la recherche d’une vie plus spirituelle il décide de rejoindre Onisaburo Deguchi à Ayabe avec toute sa famille. Commence alors une nouvelle vie parmi les adeptes de cette secte où il reste pendant huit années. Durant tout ce temps il a la confiance du Maître et participe à de nombreux exercices et pratiques spirituelles.

Très vite, avec l’assentiment de Maître Deguchi, il transforme une partie de son habitation en dojo et ouvre « l’Académie Ueshiba » où il enseigne le Daïto-ryu jujutsu aux adeptes de l’Ômoto-kyô. Sa première année à Ayabe est à nouveau marquée par une tragédie personnelle : il perd ses deux fils de maladies infantiles : Takemori (trois ans) meurt au mois d’août, et son second fils Kuniharu (un an) en septembre.

Peu à peu, le nombre d’adeptes de Ômoto-kyô qui viennent s’entraîner augmente régulièrement, et l’Académie Ueshiba est bientôt reconnue et réputée. Mais le 11 février 1921, les autorités décident de supprimer la secte et plusieurs de ses membres, dont Onisaburo Deguchi, sont arrêtés. Heureusement cet incident n’eut pas de répercussion sur l’Académie Ueshiba.

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(Morihei Ueshiba à cette époque)

En 1921, la naissance de son troisième garçon, Kisshomaru, revient mettre de l’espoir dans le cœur des parents. Pendant cette période, il reçoit à plusieurs reprises Sokaku Takeda, qui lui délivre un nouveau diplôme d’enseignement. Pendant les deux années qui suivent, Morihei tente d’aider Onisaburo, qui a été remis en liberté sous caution, à reconstruire l’Ômoto-kyô. Tout en continuant d’enseigner à l’académie, il prend en charge d’exploiter neuf cent tsubo de terres. De cette façon, il trouve enfin la cohérence qu’il recherchait. Il a toujours été persuadé de l’intimité profonde entre les arts martiaux et le travail de la terre. A partir de cette période, sa pratique devient plus spirituelle et il se plonge de plus en plus dans l’étude du kotodama (le langage de l’esprit, qui est un art du son). Il s’éloigne des traditions du Yagyû-ryu et du Daïto-ryu, pour développer une approche plus personnelle. Et en 1922 il nomme son art Ueshiba-ryu Aiki-bujutsu.

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(Ueshiba exécutant ganseki ottoshi)

L’aventure en Mongolie

En février 1924, accompagné par un petit groupe de proches dont Morihei Ueshiba, Onisaburo Deguchi part instaurer un état religieux en Mongolie. Il espère créer là-bas un paradis terrestre. Malheureusement en ce temps-là, la Chine est déchirée par d’incessantes guerres intestines et à leur arrivée à la frontière sino-mongole, ils sont arrêtés par un seigneur chinois et condamnés à être exécutés. Leur aventure ne dure donc que cinq mois et ils doivent leur salut à l’intervention in-extremis d’un membre du consulat japonais qui réussit à obtenir leur libération et s’occupe de leur retour au Japon. Cette aventure en Mongolie est cruciale dans l’expérience de Morihei. En effet, les politiciens, les chinois, les mongols, les japonais, tous manipulaient l’Omoto-Kyo. Pendant leur périple, Morihei doit à plusieurs reprises se battre contre des bandits au sabre ou au corps à corps. Après leur arrestation, il subit les humiliations des prisonniers, et une lourde chaîne aux pieds qui lui blesse les jambes jusqu’au sang. Le dernier jour, partant pour leur exécution, un message de dernier moment vient les secourir et les délivrer. Mais les japonais auraient pu intervenir beaucoup plus tôt. Le gouvernement voulait donner une leçon à la secte et à ses « illuminés ». Amer et déçu par la politique, on comprend sa méfiance envers toute forme de pouvoir par la suite.

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(Onisaburo Deguchi et Morihei Ueshiba en Mongolie, 2nd et 3ème à partir de la gauche)

Lors de cette aventure en Mongolie, un incident a particulièrement marqué Ueshiba. Dans ses écrits, il raconte « Alors que nous approchions Payintala, nous fûmes pris dans un défilé, sous un feu nourri. Comme par miracle, je pus pressentir la direction des projectiles – des éclairs de lumière les précédaient, révélant leur trajectoire – et je fus capable d’esquiver les balles. La faculté de pressentir une attaque était ce que les anciens maîtres appelaient l’anticipation. Si l’esprit est calme et pur, il est capable de percevoir instantanément une attaque et de riposter – là réside l’essence de l’aïki. ».

 

Le retour au Japon et les débuts de l’Aïkibudo

OSensei-shomenDe retour à Ayabe il reprend le cours de sa vie, l’enseignement à l’académie et le travail à la ferme. Il intensifie son entraînement, se réfugie souvent dans les montagnes de Kunamo pour méditer, demande à ses élèves de l’attaquer régulièrement de toutes leurs forces avec des armes blanches. Au printemps 1925, Morihei affronte un officier de la Marine qui est aussi un maître de Kendo. Il accepte le défie mais reste sans armes. Offensé par l’affront, le kendoka l’attaque de toutes ses forces. Morihei gagne sans avoir à combattre ; il visualise la trajectoire de chaque coup à l’avance, esquivant ainsi toutes les frappes. L’officier épuisé, finit par admettre sa défaite. Il n’a pas pu le toucher une seule fois.

C’est après ce duel qu’il a une « révélation ». Après le combat il décide de nettoyer sa sueur à l’eau du puits. Soudain il se met à trembler et se retrouve paralysé. Sous ses pieds la terre semble s’ouvrir et du ciel des rayons d’or tombent sur lui. Il perçoit alors l’ordonnancement du cosmos. Parlant de son expérience, il déclare « Je compris que j’étais l’univers. Je compris alors la véritable nature de la création ; la voie du guerrier n’existe que pour manifester l’amour divin, un esprit qui embrasse et nourrit tous les êtres. Je pris conscience que l’univers était ma demeure et le soleil, la lune et les étoiles, mes amis intimes. Mes joues furent baignées de larmes de joie ». Il avait 42 ans.

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(Amiral Gombei Yamamoto)

Après cette illumination, il décide de changer le nom de son art passant de Aïki-bujutsu (technique martiale de l’aiki) à Aiki-budo (voie martiale de l’aiki). Ce qui en change profondément l’esprit de l’étude. Quand l’Aïki-budo prend son essor, il commence à toucher un nouveau public et à attirer des adeptes célèbres. Il compte un certain nombre d’officiers de la Marine parmi ses élèves, le plus éminent d’entre eux étant l’amiral Seiko Asano, lui aussi adepte de la religion Ômoto-kyô.

 

Isamu-TakeshitaL’amiral Asano fait des éloges sur Morihei Ueshiba auprès de ses collègues de la Marine et encourage un autre amiral, Isamu Takeshita, à venir spécialement à Ayabe afin d’y découvrir l’art martial de Ueshiba Senseï. L’amiral Isamu Takeshita (image de gauche) est fortement impressionné et des dispositions sont rapidement prises pour que Morihei puisse faire des démonstrations et diriger des stages à Tokyo. Parmi les protecteurs de Morihei se trouve également Gombei Yamamoto, amiral en retraite, qui a été premier ministre du Japon à deux reprises. Ses aptitudes exceptionnelles en jujutsu et son charisme font de Morihei un instructeur très apprécié au sein de l’élite militaire et politique de Tokyo, ce qui l’amène à se rendre trois fois dans la capitale entre 1925 et 1927. Finalement, avec l’accord du révérend Deguchi, il décide de s’établir à Tokyo avec sa famille dans le but d’y enseigner à plein temps.

OSensei-songeurLe temps des tribulations en Mandchourie, Chine du nord, Mongolie ou Hokkaido est fini. Morihei Ueshiba va maintenant se consacrer uniquement à sa recherche et au développement de son art. Mais les temps difficiles ne sont pas finis pour autant et la guerre frappe durement le Japon. C’est dans cette période, dans le calme de sa retraire d’Iwama, que Ueshiba va modifier ses techniques et créer ce qui sera l’Aïkido ou la Voie de l’unification des énergies. Voici la seconde partie de la vie de O Senseï.

L’installation à Tokyo

Dans les premières années qui suivent son installation à Tokyo, Ueshiba enseigne dans les résidences privées de ses protecteurs. Et après trois années de logement temporaire, il s’installe dans le Wakamatsu-Cho (quartier de Tokyo), et débute la construction d’un nouveau dojo.

Kano-JigoroEn 1930 qu’il reçoit la visite de Maître Jigoro Kanp, le fondateur du Judo Kodokan. Kano Senseï est un homme très important à cette époque. Conseiller du ministre de l’éducation nationale, ambassadeur sportif dans le monde entier avec déjà quatre voyages en Europe et aux USA (il en fera 7 au total), il est surtout l’homme qui cherche inlassablement à remettre les budo au goût du jour. Après avoir aidé Gishin Funakoshi à lancer son Karate Shotokan, avoir aidé de très nombreux maîtres dans tous le Japon et à Okinawa, le voici chez Morihei Ueshiba. Bien que déjà âgé et ayant vu beaucoup de choses, Kano est très impressionné par le travail de Ueshiba. Lors de la première démonstration qu’il voit il dit « c’est le Budo idéal – le véritable Judo ». Il félicite Ueshiba et lui confie deux de ses élèves : Jiro Takeda et Minoru Mochizuki pour apprendre l’Aïki-budo. Durant la même année et à la demande du major général Makoto Miura (un de ses élèves), Morihei devient instructeur à l’Académie Militaire de Toyama. L’Amiral Takeshita, qui est lui-même féru d’arts martiaux, est un partisan de Morihei Ueshiba particulièrement actif. Il avait étudié le Daito-ryu pendant plus de dix ans, ce qui leur donne une base commune et leur permet de bien s’entendre, et donnait des cours dans sa propre demeure. Depuis sa rencontre avec Ueshiba, il se donne beaucoup de mal pour le faire connaître. Il est indéniable que le fondateur de l’Aïkido n’a pu connaître un tel succès à Tokyo sans l’appui de l’Amiral Takeshita.

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(Ouverture du Kôbukan en avril 1931)

En avril 1931, grâce aux efforts de l’Amiral Takeshita et d’autres personnes, une collecte de fonds permet l’ouverture d’un centre d’entraînement à plein temps, le dojo du Kôbukan. Il se trouve dans le quartier de Shinjuku, un quartier commercial et animé de Tokyo, à l’endroit même où est installé aujourd’hui le siège de l’Aïkikaï. Pendant les dix premières années, l’Aiki-budo connait sa première période faste. C’est pendant cette période que le Kôbukan est surnommé « le dojo de l’enfer » en raison de l’intensité de ses entraînements. Morihei a beaucoup de travail à cette époque. Il enseigne au Kôbukan mais également dans d’autres dojos de Tokyo et d’Osaka, dans les postes de policed’Osaka et dans certaines grandes entreprises. Au cours de cette période, Morihei conserve des liens étroits avec Onisaburo et la religion Ômotô-kyo.

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(Visite des membres de l’Omoto-kyo au Kôbukan, en 1931)

D’ailleurs, “la Société pour la promotion des arts martiaux”, créée dans le but de promouvoir l’action de Ueshiba dans les arts martiaux, s’est faite sous les auspices de l’Ômotô-kyo et à l’instigation de Onisaburo. Des antennes de cette « Société » s’établissent dans tout le Japon et des stages d’entraînement sont organisés en parallèle avec les réunions locales de l’Ômotô-kyo. Ce type d’organisation prévaut de 1931 à la fin de 1935, date à laquelle l’Ômotô-kyo est brusquement interdite par le gouvernement militaire japonais.

kiyoshi-nakakuraVers le milieu des années 30, Morihei était devenu célèbre, il était connu dans tout le pays comme un des plus grands maîtres d’arts martiaux. A cette époque il est engagé pour enseigner les arts martiaux dans différentes académies militaires comme l’école d’espions de Nakano, ou encore l’école navale. Il pratique intensément le Kendo, et de nombreux kendoka fréquentent le Kôbukan, comme Kiyoshi Nakakura qui deviendra son gendre en 1932 (photo de gauche, en démonstration avec Ueshiba).

En Septembre 1939 il est invité en Mandchourie pour faire une démonstration publique. Il fit son dernier voyage en Mandchourie en 1942, pour le dixième anniversaire de la création du Mandchoukouo. Ce jour là, il effectua sa démonstration en la présence de l’Empereur Pu’Yi, le dernier empereur de Chine, à la tête d’un état fantoche à la solde des japonais.

 

La vie au Kôbukan

Le dojo de Morihei Ueshiba à Tokyo est très vite devenu le lieu où tous les budoka et aspirants au véritable Budo voulaient être. Devant cette affluence, Ueshiba devint très sélectif. L’entretien est sommaire, mais il faut être profondément sincère dans sa démarche, sans quoi l’aspirant était éconduit sans un mot d’explication. Ueshiba demande également à ce qu’on l’attaque avec General-Miuracœur, et l’aspirant se retrouve à voler dans les airs où à être immobilisé au sol sans comprendre ce qui c’était passé. Et cela valait pour tout le monde, quel que soit son expérience antérieure. Le général Miura (photo de droite, à la fin de sa vie), spécialiste des arts martiaux, en fut pour ses frais lorsqu’il tenta d’attaquer Ueshiba, ou de le faire attaquer simultanément par une dizaine de cadets de son école militaire. Il devint aussitôt son disciple. Les frais d’inscription ne sont pas définis, mais chacun essaye de dédommager en argent, en nourriture, en aide ou en travail, ce maître hors norme.

L’entraînement débute tous les matins par un cours de 6h à 7h, puis de 9h à 10h. L’après midi, les cours sont de 2h à 4h et de 7h à 8h. Il est intéressant de noter que les cours sont toujours d’une heure, ce qui peut paraître bien court aujourd’hui où nous sommes habitués à enchaîner de deux à quatre heures par cours. Mais il faut se souvenir que les cours ont lieu tous les jours de l’année, sans exception. De plus l’entraînement ne s’arrête jamais vraiment. Un élève surpris en train de somnoler, de passer trop de temps au téléphone, de tourner dans un couloir sans être sur ses gardes, se fait aussitôt vertement réprimander par Ueshiba. Pour les aider à prendre conscience de cet état de vigilance perpétuel (zanshin), il conseille constamment ses élèves. « Ne dormez qu’au rez-de-chaussé pour éviter les escaliers dans le noir ». « Ne dormez jamais sous un objet lourd pour ne pas être écrasé en cas de tremblement de terre ».

Apres-vous

Un jour, de retour d’une tournée en Europe, l’instructeur en chef du Kôbukan arbore un blouson en cuir, objet de luxe introuvable au Japon. Après l’entraînement, il constate qu’on lui a volé son blouson. Fou de rage, il convoque tous les élèves et se met à leur crier dessus, demandant au coupable de se dénoncer. Ueshiba passant par là demande ce qu’il se passe. Après les explications il se met à crier sur l’instructeur en chef « C’est de votre faute ! » et il s’en va. Un peu plus tard, il explique à un jeune élève la chose suivante : « Un budoka ne doit jamais s’attacher aux apparences ni aux biens matériels. Cette attitude créé des ouvertures que d’aucuns peuvent exploiter. L’instructeur en chef a laissé son besoin de possession prendre le meilleur sur lui et il a perdu toute présence d’esprit ».

Projection-naname-iriminageLe soir les uchideshi nettoient le dojo, les vestiaires, le jardin et masse les épaules et le dos de Ueshiba. Il les encourage d’ailleurs à étudier le shiatsu (massage par accupression) ainsi que les arts de la médecine traditionnelle. Pendant qu’il se fait masser, il aime à écouter les récits des guerriers anciens et parfois il se lève pour mimer une scène de bataille ou une technique particulière sous les yeux incrédules de ses élèves qui se demandent bien comment il peut connaître tout cela. Il faut dire que sa recherche est permanente, qu’il invente perpétuellement de nouveaux mouvements. Si dans son sommeil il rêve d’une technique, il se réveille aussitôt, appelle un élève à n’importe quelle heure de la nuit et expérimente aussitôt sa technique.

 

Retraite à Iwama

En 1940 le Kôbukan est reconnu par le Ministère de la santé. Le premier président est l’amiral Takeshita, en reconnaissance pour son dévouement à la cause de l’Aïki-budo. Mais le 7 décembre 1941, le Japon attaque les USA à Pearl Harbour. C’est le début de la seconde guerre mondiale pour le Japon et pour les États-Unis. Il faut savoir qu’en 1937 le Japon avait déjà attaqué la Chine. Déjà Ueshiba s’était affligé du comportement indigne des soldats. Pourtant l’armée japonaise avait été nommée en exemple pour sa bonne conduite par la Croix Rouge Internationale lors du conflit contre la Russie. Mais cette fois, c’était le carnage, la terreur, le massacre de Nankin.

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(Scène du massacre de Nankin)

Avec la guerre du pacifique, les élèves partent au front les uns après les autres. Le Kôbukan devient chaque jour un peu plus désert. Ueshiba est pleinement conscient de la contradiction entre le Budo et la guerre. Il dit à ses élèves qui doivent partir au front : « Même pendant la guerre, il faut éviter autant que possible de prendre la vie à un autre être humain. Tuer demeure à jamais un péché. Donnez à votre adversaire toutes les chances de faire la paix ». Un jour il se confie à son fils Kisshomaru : « L’armée est dirigée par une bande de fous imprudents, ignorant la diplomatie et les idées religieuses, qui massacrent sans discernement les citoyens innocents et détruisent tout sur leur passage. Ils agissent en contradiction totale avec la volonté des dieux et leur fin sera sans nul doute lamentable. Le vrai budo nourrit la vie et favorise la paix, l’amour, le respect ; il n’appelle pas à passer le monde par les armes ». Son plus grand désespoir d’alors est d’avoir instruit un grand nombre de militaires qui ne cherchaient que les applications destructrices de ses techniques.

OSensei-Saito-bokken-1En 1942, Morihei tombe malade à la suite d’une grave affection intestinale, dont l’origine est sans doute son affliction devant le carnage. Il décide de se retirer à Iwama, un village situé dans la préfecture d’Ibaraki, pour y recouvrer sa santé. Quelques années auparavant, il avait acheté des terres dans ce village. Pour ne pas être un poids pour le Kôbukan, il démissionne de ses charges officielles et confie l’organisation à son fils Kisshomaru. Une fois installé à Iwama il commence la construction d’un ensemble comprenant l’autel de l’Aiki (Aiki-jinja) et un dojo extérieur. L’ensemble sera achevé en 1945 juste avant la fin de la guerre. Il planifie lui-même les plans de cet ensemble, selon les principes du Kotodama qu’il a appris sous la direction de Onisaburo Deguchi. Loin de l’agitation de la capitale et de la guerre, il s’investi dans l’agriculture, l’entraînement et la méditation. C’est à cette époque troublée que le fondateur décide de renommer son art en « Aïkido ». Ces années passées à Iwama sont décisives pour le développement de l’Aïkido moderne. Libre comme jamais auparavant de continuer son étude du Budo avec toute la concentration requise, Morihei se plonge dans l’entraînement intensif et dans la prière afin de pouvoir perfectionner encore son art martial. Son but est de trouver une méthode de résolution pacifique aux conflits. Il profite aussi de cette période pour approfondir son étude du sabre et du bâton qu’il appelle respectivement Aïki-ken et Aïki-jo. Il défini également le concept de « Takemusu Aiki », qui correspond à l’exécution spontanée d’une infinité de techniques adaptées à la situation du moment. Après le Daïto-ryu, l’Aïki-budo, l’Aïkido vient de naître entre les mains de ce chercheur infatigable.

Aiki-jinja

(l’Aiki-jinja à Iwama)

La fin de la guerre

reddition-japon-1945La guerre prend fin avec la défaite du Japon et la reddition de l’empereur. Le 7 septembre 1945, les actes de capitulation sont signés en baie de Tokyo, sur le pont avant du navire USS Missouri (photo ci-contre). Mais les japonais sont sous le choc de la défaite et surtout des deux bombardements atomiques. La pauvreté est telle que les habitants consacrent la majeure partie de leur temps à chercher de la nourriture pour survivre. Le gouvernement d’occupation militaire américain contrôle tout le pays et a prohibé la pratique de tous les arts martiaux et le Kôbukan est fermé. De son côté, Ueshiba continue à s’entraîner dans son dojo d’Iwama. Peu de ses anciens élèves sont présents à Iwama, même si Koichi Tohei et surtout Tadashi Abe sont restés auprès de lui durant cette période difficile. Ses disciples d’avant-guerre se sont presque tous retrouvés dispersés dans tout le sud-est asiatique, dans le pacifique et nombre d’entre eux ne sont pas encore été rapatriés, quand ils n’ont pas été tués. C’est à l’été 1946, que Morihiro Saito débute l’étude de l’Aïkido à Iwama. Il deviendra par la suite le gardien du temple et du dojo d’Iwama.

 Koichi-Tohei  Tadashi-Abe   OSensei_Saito
 Koichi Tohei Tadashi Abe Morihei Ueshiba et Morihiro Saito

Evidemment les arts martiaux connaissent une période de déclin, en raison de l’interdiction de l’occupant américain. Mais le fondateur ne s’en préoccupe pas. Il reste confiant en l’avenir de sa discipline.

En février 1948 le ministère de l’éducation autorisa le rétablissement du Kôbukan, qui avait miraculeusement échappé aux bombardements américains.

La création de l’Aïkikaï

Premier-Hombu-dojoAu début des années cinquante, Morihei Ueshiba quitte plus souvent sa maison de campagne d’Iwama pour Tokyo. Il est régulièrement sollicité pour enseigner, faire des démonstrations ou bien des conférences sur son art. En 1954, le dojo de Tokyo prend le titre officiel de « Fondation Aïkikaï » : le Hombu Dojo de l’Aïkido (photo de gauche, l’entrée du premier Hombu Dojo). En septembre 1956 l’Aïkikaï effectue à Tokyo sa première démonstration en public depuis la fin de la guerre. Elle dure cinq jours et a un énorme retentissement auprès des dignitaires étrangers et dans le milieu du Budo. En effet, l’Aïkido est le premier art martial à avoir eu l’autorisation d’être à nouveau enseigné au Japon et à faire une démonstration publique. C’est ainsi que l’Aïkido s’installe sensiblement dans les consciences. A partir de ce moment l’Aïkido se développe un peu partout dans le monde et entre dans un nouvel âge d’or. Ce fut l’époque de Shoji Nishio, Seiseki Abe, Noboyushi Tamura, Masando Sasaki, Yasuo Kobayashi, Reishin Kawai, Masamichi Noro, Mitsugi Saotome, Yoshimitsu Yamada, Kazuo Chiba, Seichi Sugano…Beaucoup de ces élèves commencent l’entraînement après la guerre. Ils ont l’occasion de voir le fondateur enseigner ou faire des démonstrations. Ils Kisshomaru_Ueshibasont enthousiasmés par l’énergie et la beauté des mouvements de celui qu’ils appellent désormais O Senseï (grand maître), tout comme par son sens éthique des arts martiaux. Il faut dire que la genèse de l’Aïkido s’est faite pendant sa retraite à Iwama et que les techniques que Ueshiba montre sont nouvelles par rapport à ce qu’il enseignait auparavant. Cela n’ira d’ailleurs pas sans heurt, et certains de ses anciens élèves comme Minoru Mochizuki préfèrent prendre leurs distances et créer leur structure, ou encore Tadashi Abe qui jette ses grades devant Kisshomaru (photo de droite) et démissionne avec des mots assez durs envers l’Aïkido. « Je n’enseigne pas un art martial pour les femmes » déclare Tadashi Abe avant de claquer la porte de l’Aïkikaï. Mais c’est indubitablement un nouvel âge d’or qui débute pour l’art martial de Ueshiba, qui ne connaît toujours pas de déclin à ce jour.

Les dernières années du fondateur

OSensei-kiai-arbreEn vieillissant Ushiba se retire peu à peu de l’Aïkikaï. Il continue certes à faire des démonstrations mais préfère de plus en plus le calme de la campagne à Iwama où il poursuit son étude des armes notamment, en compagnie de son élève Saito. En janvier 1960 la télévision réalise un film sur le fondateur intitulé «  Le maître de l’Aïkido ». La même année il est honoré du Shi-ju hôshô par l’empereur Hirohito, fait exceptionnel et très rare dans le monde des arts martiaux. En effet, cette médaille au ruban pourpre est uniquement décernée à ceux qui contribuent au développement des sciences et des arts. C’est la consécration d’une vie de travail et de recherche pour Ueshiba. (photo, Ueshiba pousse un kiai face à un arbre à Iwama)

Le 7 août 1962, un grand festival est organisé au temple Aïki d’Iwama pour célébrer les 60 ans de pratique de Ueshiba Senseï. En 1964 il reçoit pour la seconde fois une distinction spéciale des mains de l’empereur Hirohito pour sa contribution exceptionnelle aux arts martiaux.

Dans ses dernières années, lorsque sa santé commence à se dégrader, Ueshiba passe la plus grande partie de son temps à Tokyo. Incapable de se mouvoir aussi rapidement et librement que lorsqu’il était plus jeune, le fondateur adapte à nouveau sa pratique. De nombreuses techniques se raccourcissent, les déplacements et les gestes se font plus intérieurs. Il projette fréquemment ses jeunes et puissants élèves d’un geste rapide ou d’un petit mouvement de main, parfois même sans les toucher.

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(Morihei et son petit-fils Moriteru, l’actuel Doshu)

 En 1968 le fondateur fait encore deux démonstrations pour célébrer l’ouverture du nouveau Hombu dojo. Ce sont ses dernières démonstrations publiques au service de l’Aïkido.

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(photo ci-dessous, Kamiza de l’actuel Aikikai)

Un jour de mars, Ueshiba a une attaque. Conscient que sa fin est proche, il se lève tôt et donne son dernier cours. Envoyé à l’hôpital on lui diagnostique un cancer du foie. Il refuse de se faire opérer et demande à ce qu’on le ramène chez lui. Peu avant de mourir, voulant aller aux toilettes, quatre disciples se précipitent sur lui pour l’aider. Il les fait voler dans les airs. Une autre fois, il disparait et tous les disciples le cherchent pour le retrouver dans le dojo à expliquer à des enfants « il faut faire comme ça ! il faut faire comme ça ». Après une vie de labeur, d’études, d’aventures, de rencontres, de ténacité, de douleurs et de joies, Morihei Ueshiba décède le 26 avril 1969 à l’âge de 86 ans, le sourire aux lèvres en entendant les bruits de l’entraînement provenant du dojo tout proche. Sa femme Hatsu meurt à son tour deux mois plus tard.

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(Ueshiba ou l’idéal du Budo)

Ses cendres sont enterrées dans le temple de la famille Ueshiba à Tanabe. Les mèches de ses cheveux sont conservées comme reliques sur l’autel Aïki à Iwama, au cimetière familial d’Ayabe et au grand autel Kumano.

 

L’héritage de Morihei Ueshiba

 

aikido-memorialSi l’histoire du Japon connait un grand nombre de budokas extraordinaires, Morihei Ueshiba est sans doute le dernier à mériter ce qualificatif. Tous ceux qui ont pu croiser sa route, quelle que soit leur discipline ou leur nationalité, sont restés profondément marqués par les qualités humaines et martiales, par les incroyables capacités et la puissance de ce maître. Sa personnalité et son enseignement étaient si prégnants chez ses élèves, et ce à toutes les époques, que l’Aïkido revêt aujourd’hui de multiples visages et courants de pratiques. Certains enseignent un style proche de l’Aïki-budo, d’autres de l’Aïkido d’après- guerre. Certains insistent sur le côté mystique et énergétique, d’autres sur la technique. Certains prônent la pratique montrée au Hombu Dojo, d’autres celle qu’il développait à Iwama. Qu’importe. L’Aïkido est tout cela à la fois. Enseigné aujourd’hui dans presque 140 pays et sur tous les continents, il ne cesse de conquérir les cœurs et les esprits des hommes et des femmes, de se développer et d’évoluer continuellement. La déclaration de Tanabe de 2008 lors du dernier anniversaire de la mort du fondateur est on ne peut plus claire à ce sujet. La Fédération Internationale d’Aïkido, réunie à ce moment-là, reconnaît l’unicité d’esprit de l’Aïkido autour de la pensée de O Senseï Morihei Ueshiba et la diversité des techniques. C’est cette souplesse qui fait que l’Aïkido continue encore et toujours à montrer une voie pacifique pour tous au sein de la grande famille des arts martiaux. Les dernières paroles de Ueshiba avant de mourir furent « l’Aïkido appartient au monde entier ».